Benoît NOËL et ses amis

Exposition de Jean-Pierre Larcher au Zimmer (2004)
February 1, 2016 damir

Photographies
de Jean-Pierre Larcher

Exposition des photographies de Jean-Pierre Larcher
Présentée par Jean-Luc Gintrand

Café le Zimmer
1, place du Châtelet
75001 – Paris
tél : 01 42 36 74 03
http://www.lezimmer.com
lezimmer@wanadoo.fr

Du lundi 15 décembre 2003 au 31 janvier 2004

LA SÉANCE-FICTION

À Véronique, l’icône vraie.

On oppose communément ordre à chaos. La peur menant l’humanité par le bout du nez. Signe de l’enflure de notre vocabulaire appauvri qui nous fait nommer stars d’apprenties vedettes. En toute rigueur, ordre s’oppose à désordre et chaos à harmonie. Au temps d’harmonie est de fait le dernier avatar du mythe de l’âge d’or que d’aucuns confondent avec le culte de l’argent facile, sale et gras.

Chaos procède de la locution hébraïque : tohu-bohu. Au tohu-bohu, opposons le dahut volant quoiqu’on ignore si leur clash fut à l’origine du monde. Néanmoins, le big-bang n’est-il pas disqualifié par son énoncé binaire impropre à décrire une réalité ne l’étant pas ?

Une œuvre d’art a-t-elle pour vocation de nous rendre attentifs à l’ordre implicite dans le chaos de l’univers, sensibles à la beauté émanant de ce tohu-bohu ou intelligible l’enfer que serait notre vie sur terre ? Les trois mon capitaine. Objection votre honneur ! Une œuvre d’art digne de ce nom n’a pas à nous rassurer sur notre condition de mortel, ni à nous caresser dans le sens du poil, mais bien davantage à nous glacer d’effroi pour nous extirper de l’ordinaire.

Il va de soi que les deux parties ont raison, l’art étant d’essence paradoxale, à l’image de la vie.

Dès lors, la photographie est-elle un facteur d’entropie ? Nous aide-t-elle à appréhender le monde et sa complexité ? Et combien d’images, au juste, ont joué ce rôle pour vous lorsque tant d’autres ont accru votre appréhension de vos semblables ?

La photographie opère un prélèvement d’espace-temps en absorbant la lumière restituée sur une surface sensible. Elle est donc un transport de clarté à même de révéler une synthèse inédite de nos jours et nos nuits. Parfois, elle fait mouche. C’est la mouche du coche.

Une image embrasse le réel, embarrasse et embrase son observateur ou elle n’est rien. Loin d’être un calque du réel, elle en est un simple reflet pourtant éminemment complexe, et un double sélectif terriblement subjectif. Si elle se fixe, au grand jamais, elle ne se fige.

En ce sens, la photographie d’un modèle, et à fortiori d’un modèle nu, opère une figuration, défiguration et représentation de l’Etre. Étrange cérémonie, en vérité, entièrement tendue vers l’éloge de la vérité, de la beauté et du sacré. Cristallisation amoureuse assumée capable de métamorphoser et de transcender les trivialités de la réalité.

Il va de soi qu’une image sublime brille de mille feux subliminaux. Électrisée par les double-sens, trompe-l’oeil et chausse-trappe.

L’art célèbre la vie parce qu’il est hanté par la mort et lycée de Versailles. Il est de nature insolente et ironique. Entendez par là qu’il entend faire de l’ombre au soleil même et qu’il s’escrime à poser les bonnes questions, c’est-à-dire, les dérangeantes. C’est pourquoi les artistes sont des empêcheurs de tourner en rond, de penser en creux mais pas de choir dans le vide. En deux mots, la pertinence d’une œuvre se juge parfois aussi à son impertinence.

Les photographies de votre vie ont valeur d’icônes, de fétiches, de talismans. Votre mémoire s’y attache essentiellement parce qu’elles conservent une irréductible part de mystère, d’énigme et de rébus. Approchez-vous d’elles. Ce sont des univers en réduction ou des gros plans d’un détail infime. Des études microscopiques ou macroscopiques. Un nombril-volcan. Un volcan-nombril. Approchez encore. Les lignes de forces et les rapports de tension ne figurent-elles pas, ici, un singulier objet fractal ? C’est l’image tapie dans le tapis.

L’art est bigger than life. Voir la cathédrale de Reims, dixit Malraux dont l’homme peine à considérer ne serait-ce que l’emprise au sol. L’art est smaller than life, dixit Malraux, vu qu’à choisir entre sauver l’ange de Reims et la vie d’un enfant, il n’y a pas photo.

Ainsi, les œuvres d’art estimables ouvrent un dialogue fécond avec la nature, supportent la comparaison avec certains paysages et, in-fine, nous renseignent sur la nature de l’homme. Elles sont à mi-chemin des auberges espagnoles et des châteaux en Espagne. Face à elles, le spectateur apporte son boire et manger, soit son for intérieur, et projette ses désirs secrets. C’est le drame et la grandeur de Don Quichotte et Sancho Pança.

Vu de l’espace intersidéral, l’homme n’existe pas et la Terre disparaîtra comme elle est apparue. Surgis du néant, nous y retournons à grands pas. La photographie éclaire, tant qu’il en est encore temps, la lisière de ces abysses abstraites et le photographe obstiné travaille en fonction de ce compte-à-rebours. Les modèles généreux fourbissent du lien social à contre-courant d’une société mercantile et des iconoclastes patentés qui confondent intégrisme et intégrité. Elles créent des formes spectrales, des formes fractales, et muses intrépides mènent, de main de maître, des séances-fiction, des séances-friction.

Deux choses sont à savoir pour l’aspirant photographe : chaque modèle est unique et n’est disposé, à donner le meilleur de lui-même, qu’une seule fois. Passé ce cap, le navire prend l’eau.

© Benoît NOËL

© Jean-Pierre Larcher