À propos de L'Absinthe

Plantes de l’apéritif absinthe (2022)
January 12, 2022 damir

Plantes de l’apéritif absinthe

Toutes photographies © Benoît NOËL & Véronique HERBAUT

Plantes entrant dans la composition de l’apéritif absinthe

Par ailleurs, la Tanaisie contient un peu de thuyone et la Rue était réputée autrefois abortive.

Les plantes complémentaires de l’Ambroisie des dieux
© Benoît NOËL 

L’Artemisia absinthium, fier fleuron des armoises

« Couronne de Saint-Jean » ou « Tabac de Saint-Pierre », l’armoise appartient au genre Artemisia comptant 400 espèces. L’armoise et la Grande absinthe (Artemisia absinthium), sa figure de proue, sont effectivement très présentes lors des Fêtes de la Saint-Jean honorant la sève en pleine force et lors des Fêtes mexicaines en l’honneur du sel, symbole du meilleur de la terre. Dans les deux cas, les femmes portent des couronnes faites avec des rameaux d’absinthe et les hommes sautent allègrement au-dessus des flammes. Par ailleurs, nombre de feuilles d’armoises dont l’absinthe se fument, sèches et roulées, faute de feuilles de tabac. Les poilus des tranchées de 14-18 les préféraient grandement aux feuilles de pommes de terre.

Solaire, l’armoise s’accommode de terres rocailleuses à faible réserve hydrique, supporte les bas Ph (potentiel hydrogène), apprécie les terrains alcalins, c’est-à-dire riches en soude et en potasse mais point trop acides, et n’a rien contre ceux à textures limono-argileuse correctement drainés. Elle chérit les terrains incultes, les tas de décombres et les vieux murs et supporte aussi bien moins 15° Celsius que les climats arides des steppes et déserts.

Herbacée rampante et parfois drageonnante telle l’Artemisia dracunculus qui n’est autre que l’estragon, l’armoise peut néanmoins faire du bois et former jusqu’aux arbrisseaux de 3 mètres de l’Armoise à Trois dents (Artemisia tridentata). L’Artemisia absinthium constitue pour sa part des buissons ardents de plus d’un mètre. Le feuillage des armoises est alterne, très finement ciselé au point d’évoquer la dentelle (Artemisia camphorata) et ses fleurs ou « Boutons de Diane » sont des capitules jaunes de dimensions variables atteignant leur maturité en juillet et août. Être colonisée par des insectes n’affecte pas la vigoureuse Artemisia absinthium et, de ce fait, elle protége des congénères moins robustes.

L’armoise et tout spécialement la Grande absinthe sont des plantes rustiques, vivaces et donc « phénix » par excellence. La graine de l’absinthe se sème en février ou en mars. On peut aussi reproduire l’absinthe par division de la touffe et bouturage au printemps ou par marcottage, l’été. On enfouit alors, pour ce dernier procédé, un rameau dans la terre sans le couper du pied. Il ne faut pas craindre de la rabattre vigoureusement au printemps et doucement après sa floraison estivale. On peut la pailler l’hiver selon les exigences de la latitude et de l’altitude.

L’absinthe apéritive, un cocktail en soi de plantes revigorantes

Vers 1900, un tract publicitaire de l’Absinthe Edmond Joanne (Paris) rappelle qu’il n’entre dans la composition de l’absinthe apéritive que 6% de plante absinthe. Les recettes de cet apéritif adjoignent souvent l’armoise génépi (Artemisia glacialis) à l’Artemisia absinthium et parfois la première remplace la seconde. Le génépi croît naturellement sur les moraines, c’est-à-dire, les débris de roches charriés par les glaciers. On en tire l’alcool reconstituant homonyme, le Génépi. Selon ses Premiers voyages en zigzag dans les cantons suisses[1], Rodolphe Töpffer découvre, l’été 1836, le génépi gâce à un chasseur qui lui précise : « On ne trouve ça que dans les trous des plus hautes aiguilles. Vous versez de l’eau bouillante dessus et c’est souverain contre les refroidissements ».

La graine d’anis (Pimpinella anisum) a des propriétés digestives et sédatives calmant les contractions de l’intestin. Au courant anis de Russie, les doctes recettes d’absinthes préfèrent l’anis d’Espagne, de teinte cendrée, et très aromatique. La dilution de son huile essentielle ou anéthol dans l’eau est largement nommée « voie lactée » en ce qui concerne les absinthes « blanches », mais dans les « vertes » opalescentes, elle est souvent rapprochée des émeraudes associées à Lucifer et à la vouivre des eaux souterraines.

Dès 1816, Charles-Louis Cadet et Julien-Joseph Virey recommandent dans leur « recette d’absinthe de Suisse » du Journal de Pharmacie[2], outre les « sommités d’absinthe majeure et mineure »,  trois ingrédients nouveaux : les semences d’anis étoilé, les racines d’Angélique officinale (Angelica archangelica) et les feuilles de dictame de Crète (Origanum dictamnus). Puis, J.J. Virey déclare curieusement, dans la même publication, en 1828, les absinthes suisses supérieures aux françaises car recourant au Génépi plutôt qu’à la Grande absinthe.

L’angélique est une plante reine des apothicaires-confiseurs.

Comme son nom latin l’indique, le dictame de Crète est une espèce d’origan. L’essence des feuilles de cet arbrisseau sauvage Crétois est un antiseptique en usage depuis l’Antiquité.

Certains distillateurs préfèrent donc à la graine d’anis, l’Anis étoilé ou fruit de badiane provenant du badanier (Illicium verum), arbre de la famille des Magnoliacées, haut de 15 m, originaire de Chine et présent au Vietnam. Depuis Marco Polo, on importe son essence autour de Grasse pour les parfums. Puis, le fruit entier ou pilé fut importé via les ports pour les anisettes de Hollande, nommées par la suite « Bordelaises ». En 2009, on en retire l’acide shikimique pour combattre avec le Tamiflu, le H5N1, virus ou influenza de la grippe aviaire ou « porcine ».

Le fenouil (Foeniculum officinale) de Provence, souvent dit « de Florence », est diurétique et galactogène, ce qui signifie qu’il favorise la sécrétion du lait maternel mais l’excès de son emploi en ce sens peut entraîner un désordre des règles. L’École de Salerne affirmait : « La graine du fenouil dans le vin détrempée / Ranime, excite une âme à l’amour occupée, / Du vieillard rajeuni sait réveiller l’ardeur / Du foie et du poumon dissipe la douleur / De la semence encore le salutaire usage / Bannit de l’intestin le vent qui faisait rage ».

La Petite absinthe (Artemisia pontica), dite « romaine » ne dépasse guère 80 centimètres de hauteur et présente des fleurettes jaunes en panicule. Comme l’Absinthe maritime, elle contient moins de substances amères que la Grande absinthe.

L’hysope (Hyssopus officinalis) est une herbacée de petite taille aux fleurs bleues tirant sur le violet. Une traduction erronée de l’Évangile de Jean lui confère une fausse apparence dans l’imaginaire commun. « Après quoi, sachant que désormais tout était achevé pour que l’Écriture fût parfaitement accomplie, Jésus dit : – ‘J’ai soif’. Un vase était là, rempli de vinaigre. On mit autour d’une branche d’hysope une éponge imbibée de vinaigre et on l’approcha de sa bouche » (XIX- 28-31). Il y a là, confusion entre l’hysope (hussâpos en grec) et le bâton du légionnaire, « hussô » en grec et « pilum » en latin. Ce pilum a la rigidité et la dimension nécessaires à la scène décrite lesquelles caractéristiques font défaut à l’hysope pour qui prend le temps de la regarder.

L’âpreté des racines concassées de l’aunée (Gaula campana ou plutôt Inula campana) se conjugue également fort bien à celle de l’Artemisia absinthium.

Les feuilles de la Véronique germandrée (Veronica austriaca subsp. Teucrium) sont aromatiques et légèrement toniques.

La coriandre (Coriandrum sativum) est la manne de la Bible et une grâce des Mille et Une Nuits. Célestin Cadéac et Albin Meunier[3] ont confirmé la qualité bactéricide de l’essence exprimée de son fruit. La coriandre confère un fruité piquant à l’absinthe mais, à étudier l’histoire des vulnéraires et des alcools, on est frappé par le nombre et la réputation de ceux où elle apporte sa note diaprée : La chartreuse, l’Eau de Mélisse des Carmes déchaussés, le Baume humain, le Gin, l’Anisette de Bordeaux, la Marie Brizard, le Vespetrò, la Sambuca, la Bénédictine, L’Amourette ou L’Izarra, et ce, sans oublier les modernes : Bitters Bob’s Bitters – Coriander et Bitter Lime-Coriandre. J’ai personnellement un faible pour la coriandre, l’aunée, l’angélique et la Véronique germandrée.

La Menthe poivrée (Mentha piperita) est ainsi nommée par opposition aux menthes douces. On la produit notamment en France dans la vallée de Milly-la-Forêt ou « Plaine des simples » sur des sols sablonneux jouissant de l’érosion lente du massif de la forêt de Fontainebleau. Elle éloigne les mouches et l’une de ses essences bien connue, le menthol, écarte les microbes.

Invasive, la Mélisse citronnée (Melissa officinalis) ou « Piment des abeilles », s’agrège toutefois en splendides bouquets sphériques. Cette plante antispasmodique calmant bourdonnements d’oreille et migraines, combat l’insomnie ou l’herpès labial et confère son nom depuis 1611 au célèbre vulnéraire : L’Eau de Mélisse des Carmes Déchaussés.

Pionnier, dès 2015, le distillateur suisse Daniel Guilloud (Fleurier – Val-de-Travers) a employé le chanvre carmagnola (Cannabis sativa) pour aromatiser sa Chanvrière (54°). Cette variété de chanvre est largement cultivée en Italie et en Suisse. Elle contient de 4 à 8% de CBD et de 0 à moins de 0,2 % de THC. Le distillateur français Patrick Grand lui a emboité le pas, avec la 420 en 2017.

En 2021, Hans-Peter Fuss, toujours en avance d’un train concocte une absinthe aromatisée à l’Artemisia annua, variété bien connue pour éloigner et combattre la paludisme.

[1] Édité chez Garnier Frères, à Paris, en 1859.
[2] Journal de Pharmacie et des Sciences accessoires (Tome second), Paris, Chez Louis Colas fils, 1816.
[3] Recherches expérimentales sur les essences – Contribution à l’étude de l’alcoolisme, Paris, Asselin & Houzeau, 1892.