À propos de L'Absinthe

Bar Absinthe Antibes (2009)
February 5, 2016 damir

Bar Absinthe Antibes (2009)

Daniel : – Dans une première vie professionnelle, je faisais de la photographie. J’ai suivi les cours de l’École de photographie de Vevey (Suisse) et l’été de mes 17 ans, en 1967, je suis parti en vacances à Cadaques. C’était l’époque glorieuse des clochards de Cadaques durant laquelle tout un chacun, sans un sou vaillant en poche, était invité à faire ses preuves et à déployer ses dons. Je me suis vite retrouvé à organiser des soirées et ce, jusqu’à approcher la cour de Salvador Dali, à Port-Lligat. En fait, je me suis fait remarquer par un impair en refusant l’entrée à l’une de ces fêtes à Henri-François Rey, l’auteur des Pianos mécaniques, un protégé du divin maître. Mieux, Salvador Dali est tombé sous le charme d’Armelle, la fille de 20 ans avec laquelle j’étais venu en Espagne. Il l’a élue comme modèle plusieurs fois avant qu’elle ne parte vivre au Brésil. Je vous raconte tout cela parce qu’à 17H00, SAL-VA-DO-RE-DA-LI offrait le thé et à 19, de l’absinthe de TA-RRA-GO-NÉ…

Nous avons ouvert avec mon épouse Josette et mes enfants Sophie et Frédéric, le magasin Balade en Provence en 1998 et le Bar Absinthe dans la cave voûtée en 2003. Outre les huiles d’olive italiennes ou les confitures aux fruits du Sud, nous proposons anis, pastis et absinthes françaises à la vente comme au bar. En matière d’absinthe, nos produits phares furent la Muse Verte de Michel Budin et Jean-Philippe Brunello, la quasi liquidation du stock d’Absinthe Henri-Louis Pernod lorsque Pernod-Ricard annonça qu’il en arrêtait la fabrication et désormais notre Résurrection et Blanche de Blanche conditionnées en mignonnettes de 6 cl. et en 50 cl.

Frédéric : – La collection a débuté par hasard, nous sommes tombés en admiration devant une cuillère Anis Berger ayant appartenu à la grand-mère de ma femme Emmanuelle. J’ai acquis ma première fontaine Félix Pernod auprès de l’expert Charly Walburger et les suivantes selon les opportunités. Nous sommes originaires de Mulhouse et de ce côté le sort nous a comblés. Celle-ci appartenait à une Melle Lafumasse de Mulhouse qui s’est mariée avec un M. Bailly, c’est un modèle vraisemblablement unique. Ses héritiers qui me l’ont vendue s’en servaient comme pot à bonbons pour les enfants… Une autre fois, une dame me dit : – J’ai ce type de curieux objet à la maison. Ma grand-mère y a même fait graver son nom. – Comment s’appelait-elle, si ce n’est pas indiscret ? – Arnold. – Ah, effectivement – Vous connaîtriez peut-être quelqu’un d’intéressé par ce type d’achat ? – Oui, moi. Et c’est ainsi que j’ai récupéré une Sylvère Arnold (Mulhouse) puis une autre provenant de Thann. De fait, la collection est truffée de merveilles, des séries Cusenier Oxygénée au tampon encreur Jules Pernod (Montfavet) en passant par la carafe loupe Broquis Frères. Vous pouvez également voir ci-contre Frédéric présentant les huiles sur toile de Vincent Grollet : L’Absinthe (2007) et L’Absinthe et la mort (2007)…

À l’Absinthe Bar, la clientèle peut se déguiser en costumes 1900 et les bœufs naissent naturellement via le piano mécanique et le brassage continu du port riche en musiciens échoués des quatre horizons. Tout récemment encore, le crooner Eric Hillson s’y produisait incognito entre deux prestations à Las Vegas. Au fil de la nuit, Frédéric me propose généreusement de goûter à quelques vintage maison – mais attention tout le monde n’est pas historien de l’absinthe ! -. Depuis ce matin, je sais ce qui me tente car si j’ai un faible pour les Édouard Pernod, je n’ai jamais croisé le flacon dansant devant mes yeux Texaverysés. Produit par la filiale de Bruxelles, l’étiquette le prétend « Made in U.S.A » by « Leroux & Co. Inc (Philadelphia) ». C’est tout simplement la machine à remonter le temps ! Il n’y a pas de mots pour qualifier ce type d’expérience si ce n’est la mémoire des mots d’avant les mots… Un must, vous dis-je, le must, le must des must…. Mais voilà que Frédéric m’intime de goûter à sa favorite, une Premier Fils au clavier complet ou plutôt un Steinway au clavier frais, aigu, acéré puis… subtilement poivré et quasi pimenté. Une ampleur, une déflagration – non – le souffle même de la vie… Bon, bon… certes… enfin, je ne vous veux pas de mal ni vous achever mais une telle séance n’a pas de fin, ces molécules vibrent pour toujours dans mon épine dorsale… aïe, voici que Frédéric me tire par la manche pour attaquer… une Déchanet Fils. Son étiquette fait un peu pauvre en regard de ce qui a précédé mais pas le tampon façon cire gravé dans la bouteille… Le bouchon largement imbibé est à lui seul un poème dont le sujet narrera à coup sûr la réconciliation définitive de la douceur et de l’amertume. L’une n’existe pas sans l’autre, ne va pas sans l’autre, ne vaut rien sans l’autre… Déjà, la nuit se retire des remparts. Le soleil frissonne. Santé !

© Benoît NOËL