Fernand Léger ou l’art pour tous !
Les sept décennies écoulées depuis la disparition de Fernand Léger (1881-1955) ont permis d’affiner la perception de son message tant plastique que philosophique. Inquiet de la brèche toujours plus béante creusée par la révolution industrielle entre la nature et l’espèce humaine, l’artiste a tôt proposé des œuvres visant à la réconciliation entre ville et campagne. Il imagine, agence, construit, bûche et burine des œuvres de détente, aux espaces de rêve régis par l’apesanteur. Il travaille sans trêve à concilier vitesse et art de vivre, l’être social et l’être sociable. Il offre un moderne « temps d’harmonie ».
À ses yeux, la beauté est partout et à tout un chacun. Elle ne doit pas être cultivée dans les musées mais distillée à chaque coin de rue. Les humbles n’en ont pas moins leur conception que les lettrés et ces vues de l’esprit s’enrichissent mutuellement. À ce titre, Fernand Léger réinvente les codes publicitaires de son époque, l’art de la composition des vitrines ou conçoit le premier film sans scénario. Programmatique, le titre de ce dernier : Ballet mécanique décline son ambitieux projet de donner un coup de balai sur le ballet classique au profit d’un renouvellement cinématographique. Fernand Léger, inspiré par les circonvolutions de Charlot patinant sur la glace, ne fait-il pas évoluer dans Skating Rink des Ballets suédois, les danseurs sur patins à roulettes ? Comme nombre d’œuvres de l’artiste polymorphe, le Ballet mécanique se tient sur la fascinante ligne de crête de l’abstraction sans jamais y succomber. Des objets de la vie ordinaire s’y mêlent sur une musique d’avant-garde de George Antheil en une sarabande sans précédent ni égalée depuis.
L’Académie moderne qu’anime Fernand Léger à Montparnasse est également oxymore. Il s’agit de saisir le suc de la tradition et surtout des primitifs italiens comme africains pour l’allier à l’épique souffle moderne. L’Académie moderne ne se contente pas de proposer de dessiner d’après modèles vivants, des praticiens chevronnés y donnent des cours de typographie, de signalétique polychrome ou de scénographie. Fernand Léger tente de convaincre, en pionnier, élus, urbanistes et architectes de l’importance de la couleur, des murs peints et d’un art publicitaire tempéré en milieu urbain. Il plaide auprès des patrons et des médecins en faveur d’une couleur ergonomique dans les espaces de travail et résiliente en confinement hospitalier. En témoigne son ample mise en couleurs de l’Hôpital Franco-Américain de Saint-Lô dont malheureusement, en raison de son décès, une seule partie fut réalisée. Au demeurant, par ses tons pimpants, Fernand Léger est l’Ange Gabriel du Pop-Art !

Le formidable hommage à Fernand Léger d’Emmanuel Chaunu (2014)
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