Pasky : La femme à barbe (2019)

Pasky : La femme à barbe (2019)
February 14, 2022 Veronique Herbaut

Pasky : Clémentine : Sa barbe, son Café, sa Vie
Remiremont, Le Village, 2019

À chacun sa Fée verte…

 

J’ai évoqué la première version de ce livre décoiffant dans un reportage sur les Absinthiades de Pontarlier 2010. Cette nouvelle édition de la vie romancée par Pasky de Clémentine Delait est complétée par la retranscription intégrale, en fin de volume, du cahier où celle-ci consigna quelques faits marquants de sa vie atypique. Clémentine Delait (1865-1939) fut une femme à barbe qui assuma son destin en acceptant de devenir un sujet de curiosité dans les limites qu’elle s’était fixée dont l’essentielle, tenir à respect toute curiosité déplacée. Peu soucieuse d’analyser un possible « désordre génétique », elle anima successivement deux cafés en la bonne ville de Thaon-les-Vosges.

 

S’estimant pleinement femme, elle eut un mari boulanger, adopta une fille et revendiquait le fait de coudre, tricoter ou broder. Pasky a également pris le parti de broder à volonté et il n’y va pas de main morte, le bougre. Mieux, il n’enfile nul gant pour présenter Clémentine sous son meilleur profil. Il la présente telle qu’en elle-même l’éternité la change ou si l’on préfère, brut(e) de fonderie. Il refuse, et tant mieux, d’enjoliver son allure ou de raccourcir sa langue verte. Pis, sur des évènements fondés, il multiplie les clins d’yeux malicieux aux dogmes sociétaux les mieux établis et partant, souvent, les moins justifiés. Ce n’est pas précisément un récit mais la vachalcade inspirée d’une dame OVNI, bien décidée à n’en faire qu’à sa tête et qui en fit tourner plus d’une ou se retourner encore certains dans leur tombe…

 

Clémentine faisait entonner dans ses « Cafés de la Femme à Barbe » une rengaine avançant notamment : Entrez dans mon établissement / Vous n’trouverez pas dans toute la foire / Un phénomène plus surprenant / Que c’te barbe qui fait ma gloire / Vous pouvez n’craignez rien / Ça n’vous restera pas dans la main / Touchez, voyez qu’c’est pas des frimes / Et ça n’vous coûte que dix centimes… Au soir de sa vie, un amateur de poils lui fait part de la pièce maîtresse de sa collection : une petite bonbonnière en pâte tendre de Sèvres acquise aux enchères et contenant un poil vaginal de la Du Barry. J’en passe et des moins pires. Le 6 octobre 1903, Clémentine entre dans la cage aux lions et y mène une partie d’écarté avec le dompteur Camilius. Les « lions ont très peur » note, très prince de Galles, l’ami Pasky. Est-il souhaitable qu’un biographe soit iconoclaste face à son égérie, me questionnerez-vous ? Oui, c’est même souhaitable et savoureux. Pour autant, Pasky n’est jamais irrespectueux.

 

Tenez, Clémentine aligne trois sucres sur les cuillères ajourées de ses verres d’absinthe. La faute au sirop que sa mère lui a fait, en vain, prendre pour limiter sa pilosité, mais qui lui a donné, à vie, le goût immodéré des sucreries. En août 1933, Clémentine qui dédicace des cartes postales la figurant au Luna-Park de la porte Maillot en découvre les attractions en compagnie du directeur. Ils admirent Aïssa, un hermaphrodite florentin constitué de 33 pièces de cire et 12 ressorts à boudins lorsqu’une verge surgit de la vulve glabre en un lugubre cliquetis métallique. La veille de sa disparition, Clémentine cauchemarde. On lui sert le « Dîner de la Femme à barbe » : Velouté de cheveux d’anges / Frisée aux petits lardons / Filets de barbue aux petits oignons / Crème brûlée / Liqueurs et absinthe Lemercier (Fougerolles). Au lendemain de son décès, les élus d’Épinal reconnaissants, la nomment : la « Fée à barbe ». Autant vous dire, l’écrire et le proclamer bien haut : À chacun sa Fée verte…

© Benoît NOËL